Nicolas Sadirac, fondateur de 01 Edu System (interview)

Interview avec Nicolas Sadirac, créateur des écoles Epitech (1999), Web@cadémie (2010), 42 (2013) et 01 Edu System (2019), auteur de Apprendre 3.0.

Nicolas Sadirac vient de lancer la nouvelle école digitale 01 Edu System. Diplômé en physique de Stanford, puis de l’Epita à Paris, Nicolas Sadirac se lance dans la sécurité informatique en créant deux startups spécialisées, et prend la direction du pôle informatique de son alma mater, Epita. Il y développe un pôle sécurité informatique si dynamique qu’en 1999, il crée Epitech au sein d’Epita, une école qui expérimente l’apprentissage peer-to-peer et valorise l’approche empirique pour dessiner la formation la plus efficace aux métiers de l’informatique. En 2010, il lance la Web@cadémie, une école axée sur le développement web et l’insertion professionnelle des jeunes en décrochage scolaire. En 2013, il lance 42 avec Xavier Niel, qui ouvre une antenne dans la Silicon Valley en 2016.

En 2019, Nicolas Sadirac poursuit cette aventure avec la création de 01 Edu System, une plateforme 100% dédiée à la création d’écoles du numérique pour former 1 million d’étudiants en 15 ans, avec un focus sur les pays en voie de développement. La formation est gratuite. Une interface école/entreprises permet d’orienter les enseignements et d’optimiser la mise en relation étudiant/employeur. Pour chaque étudiant 01 Edu System recruté après sa formation, l’employeur rémunère l’école pendant une période donnée. Ce budget permet à l’école de couvrir ses frais opérationnels, et surtout de créer de nouvelles écoles 01 Edu System, un moteur de croissance fulgurant mais nécessaire pour répondre à la digitalisation mondiale des marchés, dont celui de l’emploi.

Nicolas Sadirac, vous avez publié le livre Apprendre 3.0 en septembre 2019, et lancé la nouvelle école d’informatique 01 Edu System au début de la même année. Pouvez-vous nous présenter ces projets ?

Nicolas Sadirac : 01 Edu System est la réponse grandeur nature au besoin de former des millions de jeunes à la transformation digitale du monde du travail. Si l’idée formulée ainsi semble simple et bonne, encore faut-il savoir quoi changer, et comment ?

Cette problématique, c’est l’épicentre de ma carrière. Depuis mes débuts, je me focalise sur de nouveaux modes d’apprentissage que je constate bénéfiques à la formation des étudiants en informatique. Avec les lancements d’Epitech (1999), de la Web@cadémie (2010) et de 42 (2013), j’ai développé et rodé un nouveau modèle d’apprentissage qui revalorise le talent individuel et l’intelligence collective, retournant au passage beaucoup d’idées reçues sur l’école et la formation professionnelle. Fort de cette expérience, j’ai lancé 01 Edu System pour porter à l’échelle internationale cette méthode pédagogique bien rodée et qui propose un standard de formation aux métiers du numérique.

Le livre Apprendre 3.0 a pour vocation d’accompagner cette démarche. J’y livre l’historique du style pédagogique développé dans mes écoles, les raisonnements qui en découlent, et les méthodes ainsi établies. Je suis allé cherché plusieurs témoignages d’anciens élèves en guise d’illustrations. Pour faire court, Apprendre 3.0 met à nu le fil conducteur de mon projet pédagogique depuis ses débuts.

Selon vous, faut-il rapidement réformer le système scolaire ?

Nicolas Sadirac : Je réponds à votre question un peu trop directe en deux volets.

Les problématiques pédagogiques que j’aborde ne concerne pas directement les programmes de l’Éducation nationale : mes enseignements ne visent pas à apprendre à des enfants pour lesquels il faut aussi inférer des logiques piagétiennes qui ne rentrent pas dans le cadre des projets que j’ai entrepris. Mon domaine, c’est la formation d’adultes (jeunes et moins jeunes) et la création de ponts entre les écoles et les univers professionnels. Mon approche pédagogique prend par exemple beaucoup de sens dans ce que l’on appelle le reskilling qui consiste à aider les gens à changer de métier. De fait, je me situe plus dans le champ de l’insertion professionnelle.

On ne peut cependant pas ignorer le fait que l’insertion professionnelle des jeunes se joue dès le lycée, parfois le collège. Dans Apprendre 3.0, j’insiste sur le fait que mon approche a permis de valoriser bon nombre de jeunes qui se sentaient en marge du système, aliénés par le système scolaire et ses solutions de débouchés professionnels. Pour rester universaliste, l’école doit probablement se tourner aujourd’hui vers les modes contemporains d’insertion professionnelle comme celui que je développe. Mais il faut aussi que la pédagogie 3.0 fasse ses preuves dans le plus de pays et de métiers possibles pour commencer à être reconnue comme un standard, ce qui est l’objectif de 01 Edu System.

Votre collaboration avec Xavier Niel pour lancer 42 en 2013, l’école “ovni” selon la presse, a fait beaucoup de bruit à l’international et fut un tremplin de lancement sans précédent du “style Sadirac”. Comment cette collaboration avec le fondateur de Free s’est-elle déroulée?

Nicolas Sadirac : Je connaissais déjà un peu Xavier Niel. Nous venons du même petit milieu des hackers/entrepreneurs des années 1990. J’ai d’ailleurs observé de manière admirative son ascension fulgurante dans les télécoms en France. Mais notre rapprochement autour du projet 42 a eu lieu plus tard, vers 2012.

Je venais alors de lancer la Web@cadémie en 2010 avec François-Afif Benthanane (Zup de Co) et nos premières promos commençaient à être placées en entreprise. Une jeune fille, sans formation, à part son passage récent à la Web@cadémie, avait rejoint Free et en a mis plein les yeux à Xavier Niel lors d’une réunion de travail. Ce dernier a vite compris le potentiel de la Web@cadémie, son entreprise étant confrontée comme beaucoup d’autres au challenge de former beaucoup de nouveaux talents très rapidement. Il m’a interpellé sur sa rencontre avec notre ex-étudiante, et nous avons alors commencé à plancher sur la création d’une école de formation aux métiers du digital.

Xavier Niel s’est fortement engagé dans le lancement et la croissance de 42. Pendant que lui assurait le rôle d’ambassadeur de marque, j’avais de mon côté carte blanche pour développer la formule pédagogique Web@cadémie, qui en réalité n’était que la petite soeur de l’approche pédagogique que j’ai développée à l’Epitech pendant 10 ans. J’ai donc repris le concept de piscine pour les concours d’entrée, les cours sans professeurs, l’abandon de la tyrannie des notes, … en plaçant bien sûr la dynamique de groupe au centre des modèles pédagogiques déployés.

Tous ces choix n’émanent pas d’un libéralisme sans foi ni loi, mais sont la résultante de ce que j’appellerais les hard facts sur la formation professionnelle qui se sont imposés à moi dans mes 20 ans d’expérience.

Quelles sont les grandes lignes à retenir d’Apprendre 3.0 ?

Nicolas Sadirac : Tout d’abord, dans Apprendre 3.0, je prends le temps de revenir sur la genèse du style pédagogique que j’ai développé. Cet historique me permet d’établir la cohérence empirique de ma méthodologie.

Le premier constat de ma carrière qui me sortit de mes gonds remonte à l’époque où je gérais le système informatique de l’Epita dans les années 1990. En créant un club d’informatique du soir réunissant les passionnés de programmation, je me suis rendu compte à quel point l’apprentissage volontaire était plus efficace et satisfaisant que l’apprentissage forcé. “Apprendre à l’enfant par le jeu” était finalement un concept qui s’appliquait aussi beaucoup à l’adulte.

L’autre grand constat de mon début de carrière vint au début des années Epitech (à partir de 1999). Je constatais alors que, dans un cours, lorsque la pratique précède la théorie, alors la théorie est parfaitement bien acquise. Il devint évident que chaque nouvelle leçon devait être d’abord mise en pratique, puis théorisée une fois que l’étudiant avait identifié les problèmes et devenait demandeur de solutions, et non l’inverse.

Le constat ultime et générateur de grande disruption dans le modèle pédagogique que j’apporte, c’est la force du collectif, le fameux peer-to-peer. Alors que les modèles éducatifs traditionnels ont tendance à isoler les élèves réunis dans une même classe, la pédagogie 3.0 que je développe retourne le process et encourage une interaction intense entre les étudiants. Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.

Pourquoi ces modèles pédagogiques n’ont-ils pas été déployés plus tôt dans nos systèmes éducatifs ?

Nicolas Sadirac : Il faut déjà considérer que le corpus théorique qui porte les nouveaux modèles pédagogiques est plutôt récent. L’ouverture de la Sudbury School en 1968 marque si l’on peut dire l’an 0 de la pédagogie 3.0. Cette école considère que si les professeurs ont pour rôle d’apprendre, les élèves comme le personnel ont une responsabilité égale et partagée dans la vie de l’école et des cours. L’élève devient co-constructeur de son éducation et de celle des autres, un pas de géant de notre civilisation vers la démocratie absolue.

Nous devons de plus considérer que même 01 Edu System est assez précoce. Les modèles de pédagogie 3.0 ne sont valides que dans des environnements AI-ready. Sans environnement “artificiellement intelligent”, l’école se doit de centraliser la connaissance et de définir des stratégies pédagogiques pour la partager à bon escient. Dans cet environnement, la pédagogie 3.0 ne peut pas prendre car l’étudiant ne peut pas facilement accéder à la connaissance. Il doit se plier au rituel scholastique au risque d’être exclus de la boucle de la connaissance.

Avec un environnement “artificiellement intelligent”, l’accès à la connaissance est universelle et peut s’effectuer en toute liberté. C’est ici que se situe le seuil d’entrée dans l’univers de la pédagogie 3.0. Avec cet environnement, l’école peut se libérer de son rôle de distributeur exclusif de connaissances et se concentrer alors sur d’autres piliers d’apprentissage. Nos environnements intelligents ont les genoux encore fébriles mais ils marchent, et l’AI est aujourd’hui au cœur de tous les agendas politiques, dans tous les pays du monde. La pédagogie 3.0 est donc précoce, mais plus pour longtemps.

De facto, l’école va redevenir un carrefour de rencontres entre atomes crochus, un incubateur d’esprits remplis d’envies d’entreprendre, un instrument qui produit des notes en harmonie avec les altérations des marchés. Le chef d’orchestre n’est pas le compositeur de ses orchestres. Il n’apprend pas à ses musiciens à jouer de leur instrument non plus. Mais il les guide dans la coordination des sons produits par chacun d’entre eux pour produire une musique. Il en va de même pour la formation professionnelle 3.0.

Et le professeur 3.0 dans tout ça?

Nicolas Sadirac : Le personnage du professeur John Keating joué par Robin Williams dans le Cercle des poètes disparus en est l’archétype. Ce professeur focalise son intervention sur le sens de son cours qui, on l’apprend le long de ce beau film, est directement corrélé avec le sens de la vie des jeunes qui y participent.