Paris 2020: le problème du logement

Le 2020 démarre en France avec un vif débat sur la hausse du coût du logis. Est-il trop tard pour faire face à la gentrification de la ville?

Le 2020 démarre en France avec un vif débat sur la hausse du coût du logis. À Paris, alors que la maire Anne Hidalgo promet de construire de nouveaux appartements avec un prix en dessous des taux du marché, la fermeture de la première librairie LGBT de la ville provoque tristesse et inquiétude chez les habitants du Marais. Est-il trop tard pour faire face à la gentrification de la ville?

 

Les Mots à la Bouche, la première et unique librairie LGBT de Paris, située rue de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, a annoncé en novembre 2019 via Twitter qu’elle fermera ses portes fin mars pour faire place à une boutique de chaussures. La nouvelle a été un coup dur non seulement pour ceux qui fréquentent la librairie, mais pour les parisiens qui assistent jour après jour à la fermeture des commerces traditionnels du quartier, remplacés par des conglomérats de grandes chaînes transnationales et magasins de luxe (notamment de vêtements) visant les milliers de touristes aisés qui transitent les rues. Fondé en 1983 par Jean-Pierre Meyer-Guiton, Les Mots à la Bouche a contribué à l’émergence de l’identité du quartier, de même que les bars et boutiques qui luttent pour résister à la hausse des prix de location. Jusqu’à présent, la librairie n’a pas trouvé un endroit pour déménager : les options proposées par la mairie de Paris n’ont pas répondu à leurs attentes, et le propriétaire craint perdre des clients s’il s’éloigne trop de l’épicentre commercial. D’autre part, les petits commerces du Marais fondés par des immigrants juifs et arabes sont également en difficulté : un exemple récent est l’épicerie Au Marché du Marais, des frères marocains Ali et Amar Sitayeb, qui fermera le 31 janvier, à cause de l’augmentation des prix de logement, laissant les voisins sans lieu de réunion pour discuter les affaires quotidiennes, demander des conseils ou même laisser les clés en charge…

 

Le processus de gentrification à Paris se poursuit depuis longtemps. Certains historiens retracent son origine à l’époque de la « l’haussmannisation », au 19ème siècle. Bien entendu, ses répercussions actuelles ne sont pas les mêmes qu’il y a deux siècles. La vitesse à laquelle celle-ci s’ést étenduee depuis les années 70 peut être qualifiée de étourdissante. Selon l’analyse du journaliste Arnaud Idelon, publiée dans le journal en ligne Enlarge your Paris, consacré à la banlieue Parisienne, puis dans le journal Libération, il n’y a pas une seule gentrification mais plusieurs, puisque chaque zone se modifie de façon différente. Il existe cependant un trait déterminant : l’homogénéisation provoquée par le déplacement des habitants et des commerces originaires d’un secteur, pour introduire des habitants dont le mode de vie répond à des modèles standardisés. Les différences effacées, l’identité de cet espace devient une sorte de version pittoresque et sucrée d’elle-même, qui empêche la génération d’un véritable tissu social. Les relations humaines commencent à tourner alors autour de la consommation. Des quartiers du nord-est de la ville, comme Belleville ou Ménilmontant, sont de plus en plus assiégés par un mode de vie qui répond au déplacement des classes populaires par les classes les plus fortunées. Le 11 janvier, les artisans du quartier Sainte-Marthe ont réclamé leur droit d’habiter l’ancienne cité ouvrière. En mars 2019, le documentaire du journaliste David Dufresne Le Pigalle. Une histoire populaire de Paris mit en évidence le changement d’un quartier qui représentait « une poche de résistance » dans les années 80. 

 

La discussion sur les problèmes concernant les dynamiques urbaines a été particulièrement intense ces derniers mois à Paris, puisque les prochaines élections municipales approchent. Anne Hidalgo, actuelle maire de la ville, et candidate à un nouveau mandat, a fait une promesse ambitieuse : dépenser 20 milliards d’euros pour construire des logements. Elle propose de dresser 30 000 nouveaux domiciles qui pourraient se louer à un prix 20% en dessous des taux du marché, grâce à un partenariat public-privé. Une grande partie des logis seraient édifiés dans des immeubles de bureaux transformés en résidences. De plus, elle vise à réguler les logements Airbnb dans chaque quartier, et continuer ses politiques de suppression des voitures. Les autres candidats ont fait aussi des promesses à l’égard de la durabilité de la ville, notamment du logement : David Belliard, candidat pour le EELV, propose de geler les loyers pendant cinq ans, suivant l’exemple de Berlin ; pendant que Benjamin Griveaux, du parti La République en Marche, se penche vers aider les propriétaires à rénover des logements de mauvaise qualité pour les rendre louables. D’autre part, la Loi ALUR 2017 a facilité la construcción de petites structures sur les toits de vieux bâtiments, faites de matériaux eco-friendly, qui peuvent se louer 40% en dessous du prix ordinaire. Ces modernes « propietées parasitaires » ont l’avantage d’éviter de démolir des maisons qui peuvent avoir une valeur historique ou émotive. Mais, tenant en compte les défis que la ville présente actuellement, ces mesures sont-elles suffisantes? 

L’article « La gentrification de Paris vue par Google Street View »  de Laura Wojcik met le doigt sur le manque d’espaces propices pour que les gens de différents origines sociales puissent se mélanger. La construction d’immeubles sociales peut être un premier pas vers une ville plus horizontale, mais il faudrait aller plus loin dans la réflection sur les dynamiques urbaines du xxième siècle. L’étude comparative de Wojcik montre les différences écrasantes des images de Paris prises par Google entre 2008 et 2019 : des grossistes remplacés par des restaurants italiens, des commerces tenus par immigrants devenus des épiceries fines ou des espaces de coworking. Wojcik cherche à nous mettre en garde devant les mesures gouvernementales à façade sociale, qui renouvellent les rues mais finissent par déloger les commerces populaires. Gagne qui gagne les prochaines élections, il faudra suivre de près les mesures prises pour freiner les prix des habitations. Il n’y a qu’une chose sûre: la gentrification n’est pas un procès naturel, mais un phénomène social, et ce n’est qu’en prenant conscience de son fonctionnement qu’on pourra prendre le chemin d’un Paris plus aimable pour ses habitants.

 

Source de l’image : lepoint.fr