Le périodique britannique The Guardian s’est lancé cette semaine contre les compagnies pétrolières et gazières. Désormais, les publicités des entreprises du « big oil » ainsi que « toute entreprise dont l’activité principale consiste à extraire des combustibles fossiles », d’après le communiqué publié ce mercredi 29 janvier 2020, ne seront plus publiés sur les pages du quotidien basé à Londres.
L’annonce soulignait les mesures prises par l’équipe des dirigeants du périodique formé par Anna Bateson, directrice générale par intérim de la société, et Hamish Nicklin, directeur des recettes.
« Notre décision est fondée sur les campagnes déployées depuis des décennies par de nombreux acteurs de l’industrie des combustibles fossiles pour empêcher les gouvernements du monde entier de prendre des mesures significatives en matière de climat », déclaraient-ils.
Cette annonce, la première du genre pour un journal britannique, met en évidence que la crise climatique est de plus en plus reconnue dans le monde des affaires, tout juste après que le sujet ait été largement discuté au Forum économique mondial de Davos, en Suisse.
Le geste, sans doute courageux, est de grande importance pour l’ensemble de l’industrie des médias et suit les efforts d’autres institutions pour limiter ses liens financiers avec les entreprises des combustibles fossiles. En septembre 2019, l’éditeur du journal Dagens ETC déclarait que le périodique suédois n’irait plus accepter des accords publicitaires qui fassent la promotion d’aucun bien ou service lié à l’industrie des énergies fossiles.
Déjà le 16 octobre 2019, le périodique du Royaume-Uni avait annoncé qu’il n’allait plus s’exprimer de « changement climatique » dans ses publications, et qu’il allait par contre favoriser des tournures plus conformes à l’état actuel, telles que « crise climatique », ou « urgence climatique ». En ce moment-là, Katharine Viner, éditeur en chef du journal, justifiait cette décision en rappelant que c’était une situation à laquelle il fallait « se consacrer dès maintenant » et que dans cette affaire « chaque jour importe ».
Aussi en octobre, The Guardian publiait un rapport sur les stratégies publicitaires des compagnies pétrolières et gazières pour nier ou amoindrir les consensus internationaux autour du changement climatique et ses effets nocifs à l’échelle globale. Pour sa part, le groupe Nielsen AdIntel informait que BP, Shell, Chevron, Exxon Mobil et Total ont dépensé environ 3,7 millions de livres sterling en publicité en Grande-Bretagne en 2019.
D’après les déclarations des dirigeants de l’entreprise, cette décision sera surement suivie de nuisances financières pour le périodique, au moins à court terme. Environ 40 % des revenus pour The Guardian, ainsi que pour son journal du dimanche, The Observer, sont basés sur la publicité. De plus, les accords actuels du groupe médiatique avec les entreprises de combustibles fossiles auraient une valeur de près de 500 000 livres, soit environ 600 000 euros.
Le périodique est détenu par une organisation caritative, le Scott Trust, qui, en 2015, avait déjà détourné ses investissements sur les entreprises combustibles fossiles. Ceux-ci s’élevaient jusqu’aux 800 millions de livres sterling au nom du Guardian Media Group. Ce type de participation signifie désormais moins de 1 % de ses fonds actuels, a déclaré le journal. Le groupe médiatique de The Guardian s’est également engagé à ramener ses émissions de carbone à un niveau net zéro d’ici 2030.
Tout en se montrant satisfaits par la décision prise, les dirigeants ont admis que la société aurait pu prendre des mesures plus significatives sur ses accords publicitaires.
« Quelques lecteurs aimeraient que nous allions plus loin, en interdisant les publicités pour tout produit ou service à forte empreinte carbone, comme les voitures ou les vols en avion », lit l’écrit de Bateson et Nicklin sur le blog « Inside the Guardian », en expliquant les raisons derrière la nouvelle initiative. « L’arrêt total de ce type de publicité serait un coup financier très sévère qui pourrait nous obliger à faire des réductions importantes dans The Guardian et l’Observer ».
Cependant, les exécutifs croient aussi que ce geste pourrait persuader davantage ses lecteurs de contribuer financièrement au journal. De plus, le boycott du groupe britannique pourrait aussi servir d’exemple pour que d’autres entreprises prennent des décisions similaires au même temps qu’elle pourrait attirer d’autres entreprises avec un agenda écologique qui souhaiteraient faire de la publicité dans le Guardian.
« Nous sommes certains que de nombreuses marques seront d’accord avec notre position, ce qui pourrait les convaincre davantage de collaborer avec nous. L’avenir de la publicité repose sur un rapport de confiance avec les consommateurs et sur un engagement véritable envers des valeurs et des objectifs ».
Le même jour de l’annonce, Greenpeace et le groupe de pression 350.org ont salué cette initiative. « C’est un moment décisif et le Guardian doit être applaudi pour cette initiative audacieuse visant à mettre fin à la légitimité des combustibles fossiles », déclarait Mel Evans, responsable des actions pour le climat de Greenpeace en Grande Bretagne.
« Les entreprises pétrolières et gazières se retrouvent désormais aux côtés des compagnies de tabac comme des entreprises qui nuisent la santé et le bien-être de toute personne sur cette planète », continua-t-elle. De même façon que le dossier de The Guardian, Mme Evans rappelait aussi que ces « géants des combustibles fossiles » avaient réalisé des campagnes de publicité « green wash » pendant que « 97% de leur chiffre d’affaires » se trouvait « dans le pétrole et le gaz ». « Les médias, les organisations artistiques et sportives doivent maintenant suivre cet exemple et mettre fin à la publicité et au parrainage des entreprises des énergies fossiles », elle rajouta.
L’année dernière fut marquée par une suite de protestes au Royaume-Uni demandant aux différentes organisations artistiques de couper ses liens avec les compagnies pétrolières. En février, des manifestations au British Museum réclamaient le rôle de BP dans la crise climatique. Plus tard, en juin, plusieurs artistes britanniques, dont Anish Kapoor et Antony Gormley ont demandé à la National Portrait Gallery, une des grandes institutions d’art dans ce pays, de terminer son partenariat avec BP. Plus tard, Mark Rylance, reconnu acteur du théâtre britannique, démissionnait de son poste à la Royal Shakespeare Company dû aux liens de l’institution avec la même entreprise pétrolière. L’avalanche de pression qui suivit ce mouvement a forcé la compagnie de théâtre à quitter ses accords financiers avec l’ancienne British Petroleum.
Déjà en 2017, le Tate Museum décidait rompre avec l’industrie du pétrole, lors d’une série de manifestations réalisées aux portes du bâtiment londinen. À l’époque, les responsables de BP ont justifié la fin de ses accords financiers avec le Tate argumentant que la compagnie se trouvait au milieu d’un « contexte commercial extrêmement difficile ». D’autres musées auraient aussi coupé ses partenariats avec l’industrie des combustibles fossiles (comme le Field Museum de Chicago) mais ce fut le Musée national d’histoire naturelle de New York qui annonçait en grande pompe une réduction de ses liens, en 2016.
Ces dernières années, d’autres organisations ont été remises en question pour ses partenariats avec les entreprises pétrolières et gazières. Récemment, des appels au changement des approches financières ont été faits au Musée d’histoire du Canada et même les géants informatiques Google, Amazon et Microsoft on tous passé des moments de tension lors d’une série de demandes de ses employés pour couper ses liens avec les entreprises du « big oil ». Néanmoins, ces partenariats seraient assurés par des accords dans le numérique qui dépassent les 20 milliards de dollars, ce qui pourrait aider à expliquer les déclarations de Jeff Bezos, PDG d’Amazon, qui argumente qu’il faut « aider » les compagnies pétrolières « au lieu de les diffamer ».