La polémique Sanofi et la guerre pour le vaccin contre le coronavirus

Cette semaine, la pharmaceutique Sanofi avait déclaré que les États-Unis seraient les premiers récepteurs des vaccins.

Pendant que plusieurs pays au monde commencent à ouvrir à nouveau ses activités économiques, les recherches scientifiques pour un vaccin contre le coronavirus prennent de plus en plus d’importance dans la liste des priorités globales.

Même entrées dans le déconfinement, les indicateurs suggèrent que le redressement des économies mondiales sera aussi lent qu’inégal, de plus que le risque que des nouvelles vagues d’infection s’avère pire pour les pays affectés. Cette semaine, l’Organisation mondiale de la santé renforçait cette idée, signalant que le virus pourrait ne jamais disparaitre complètement.

Le monde entier est donc à la recherche d’une solution qui puisse être, en plus, accessible à tous ; outil indispensable pour assurer une voie de retour économique, sanitaire et social pour tous les pays après une chute globale des productions.

Dans ce contexte, le géant pharmaceutique français Sanofi a provoqué un bouleversement généralisé des opinions européennes après que son PDG, Paul Hudson, ait informé que si la compagnie parvenait à trouver un vaccin, les États-Unis seraient les premiers récepteurs des doses.

En entretien avec Bloomberg News ce mercredi, M. Hudson justifiait ses déclarations argumentant que ce pays avait été le premier à financer la recherche du laboratoire européen.

« Le gouvernement américain a le droit à la plus grande précommande parce qu’il est investi dans la prise de risque », affirmait le patron de Sanofi. « Il en sera ainsi parce qu’ils se sont engagés économiquement pour essayer de protéger leur population, pour relancer leur économie, » continua-t-il.

Les déclarations du responsable de l’entreprise ont très rapidement provoqué la réaction des classes politiques et des médias européens.

Le jour suivant, en France, l’Elysée lançait un message clair : « Le vaccin doit être extrait des lois du marché ». Pendant que le président Emmanuel Macron se dit « ému » des déclarations, la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher jugeait la décision comme « inacceptable ». « C’est anormal ce qu’a annoncé Sanofi hier », assura la fonctionnaire à Sud Radio.

D’autre part, le ministre Edouard Phillipe se montrait inaltérable, exprimant que « l’égal accès de tous au vaccin n’est pas négociable ».

La Comission européenne a aussi réagi, en déclarations diffusées par son porte-parole, Stefan de Keersmaecker, qui assurait que « le vaccin contre le Covid-19 doit être un bien d’utilité publique et son accès doit être équitable et universel »

Essayant de tempérer les esprits, le directeur de Sanofi en France, Olivier Bogillot, allait sur RTL pour déclarer qu’il était « évident que si Sanofi découvre un vaccin efficace contre le Covid-19, il sera accessible à l’ensemble des citoyens français. Il est de notre responsabilité ». « L’objectif, c’est que le vaccin soit disponible à la fois aux USA en France et en Europe de la même manière. […] Les Américains sont très mobilisés, nous appelons de nos vœux que l’Europe s’organise de la même manière pour pouvoir aller très vite aussi », ajouta-t-il.

Depuis, le gouvernement de la République a convoqué aux responsables de la société pharma pour éclaircir ces faits. Le rendez-vous aura place le 19 mai prochain.

La recherche européenne pour le vaccin

Peter Almayer, le ministre allemand de l’économie, avait déclaré en mars que son pays « n’était pas à vendre » lors d’autres déclarations controversées du président américain, qui annonçait son intention de verser des millions de dollars à certains laboratoires en échange de droits exclusifs sur un éventuel vaccin contre les coronavirus.

Ce mois, la Commission européenne a organisé une collecte de fonds dirigée à financer un « accès universel aux vaccines », ainsi que des traitements et tests de dépistage. L’initiative, promue en partie par le président Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, a réussi à obtenir 7,4 milliards d’euros de plusieurs organisations mondiales, dont 1,4 milliards versés par la commission. Les États-Unis ont été absents.

« Aujourd’hui, le monde a fait preuve d’une extraordinaire unité pour le bien commun. Les gouvernements et les organisations mondiales de la santé ont uni leurs forces contre le coronavirus. Avec un tel engagement, nous sommes sur la bonne voie pour développer, produire et déployer un vaccin pour tous. » déclara, la présidente de la commission, Ursula van der Leyen dans un communiqué officiel.

Les enjeux de l’administration Trump

Également sur Bloomberg, M. Hudson a insisté que les États-Unis étaient un partenaire « modèle », et que les pays européens « doivent accepter qu’ils paieront pour quelque chose qui pourrait ne pas fonctionner ».

Ce vendredi 15 avril, Donald Trump déclarait que les États-Unis auraient « un vaccin d’ici la fin de l’année », en y ajoutant que l’armée aiderait à le distribuer.

En conférence de presse depuis la Maison blanche, le mandataire annonça les détails de l’Opération « warp-speed », évoquant les voyages interstellaires de science-fiction, qui sera d’après lui une « entreprise scientifique, industrielle et logistique de grande envergure, sans précédent dans notre pays depuis le projet Manhattan ».

Cependant, les analystes de l’Agence européenne des médicaments ont exprimé à plusieurs reprises qu’il faudrait très probablement attendre plus d’un an pour l’arrivée d’un vaccin fonctionnel.

Aux États-Unis, un ancien fonctionnaire du HHS, Rick Bright, a exposé un nombre de procédures douteuses de l’administration Trump face à la crise sanitaire. D’après lui, il n’existe pas actuellement « aucune entreprise qui puisse produire autant de vaccins pour l’ensemble du pays. » « Il y aura une pénurie de traitements », sentencia-t-il.

Mr. Bright a également exhorté le gouvernement à « formuler une stratégie qui puisse être déployée immédiatement pour assurer non seulement qu’on trouvera le remède, mais que nous pourrons le fabriquer et le distribuer de manière accessible à tous ». De plus, il a averti que si l’administration n’arrivait pas à ce point, « 2020 pourrait être l’hiver le plus sombre de l’histoire mondiale récente ».

Bright a été démis de ses fonctions il y a un peu plus d’un mois.

Le monde à la course pour le vaccin

Depuis février dernier, le Département de la Santé et des Services sociaux de ce pays et la Sanofi Pasteur sont en partenariat pour la recherche d’une cure au COVID-19. Autres compagnies pharma ont aussi rejoint les efforts conjoints avec l’organisme américain, dont Regeneron et Johnson & Johnson, qui travailleront tous avec l’Autorité pour la recherche et le développement biomédical avancé (BARDA). En décembre 2019, BARDA avait accordé une subvention de 226 millions de dollars à la société française destinés à une nouvelle production de vaccins contre la grippe. Les collaborations entre les deux organisations datent de l’an 2000.

Outre les collaborations avec l’administration Trump, des dizaines de sociétés sont actuellement à la recherche d’un vaccin. À l’heure actuelle, plus de 100 projets et plusieurs essais cliniques sont menés dans le monde entier. Ce mois-ci, des scientifiques chinois, israéliens et néerlandais ont déclaré avoir fait une découverte majeure d’anticorps qui pourraient bloquer le virus dans le système immunitaire.

D’après Bloomberg, CanSino Biologics Inc, Inovio Pharmaceuticals Inc, Moderna et Pfizer (en partenariat avec BioNTech SE) ont déjà initié les premiers tests en humains de possibles vaccins.

Pour sa part, Sanofi a déclaré être sur la piste de deux candidats de vaccin.

Le premier, développé avec BARDA, serait basé sur une technologie dite « recombinante », qui porte sur des travaux scientifiques datant de l’épidémie de SARS, en conjonction avec une plateforme utilisée par la société dans ses vaccins contre la grippe.

Le deuxième est réalisé avec sa concurrence directe, GlaxoSmithKline, et utilise un nouveau système connu sous le nom d’ARNm qui pousse l’organisme à fabriquer une protéine clé à partir du virus, déclenchant ainsi une réponse immunitaire. D’après son PDG, ce dernier candidat présente des difficultés techniques plus importantes qui pourraient limiter sa distribution dans certaines régions, puisqu’il exige d’un refroidissement constant à -80°C.

Quel que soit le cas, les laboratoires mondiaux devront surmonter plusieurs obstacles additionnels avant de se lancer dans la distribution d’un vaccin. Outre les preuves d’efficacité, souvent dépendantes des réglementations et procédures sanitaires locales et internationales, les pharmaceutiques seront tenues à reconvertir ses centres productifs et anticiper les impasses dans la chaîne d’approvisionnement face à l’énorme défi de produire un vaccin pour le monde entier.

Le salarié de Sanofi le décrivait ainsi, à l’agence américaine : « Trouver un milliard de flacons en verre avec des bouchons approuvés n’est pas facile. Trouver l’équipement nécessaire pour mettre en place davantage de lignes de remplissage et de finition n’est pas facile. » « Il n’est probablement pas possible aujourd’hui de se procurer 7 milliards de seringues remplies au préalable », ajouta-t-il.

Source de l’image : euronews.com