L’Allemagne parie sur l’hydrogène pour un avenir « vert »

Le plan s’inscrit dans une stratégie pour que l’Allemagne devienne « largement neutre en termes de gaz à effet de serre d'ici 2050 ».

Le gouvernement fédéral allemand a annoncé que ce pays versera 9 milliards d’euros pour stimuler le développement du marché énergétique de l’hydrogène. Cette « stratégie nationale » vise à que le pays devienne, dans les années à venir, le chef de file mondial de telle technologie et un exemple à suivre dans les efforts mondiaux de décarbonisation.

Le tout s’inscrit dans un plan ambitieux pour que l’Allemagne devienne « largement neutre en termes de gaz à effet de serre d’ici 2050 ».

L’élément chimique présente une option idéale pour le stockage des énergies issues de sources renouvelables, notamment pour son utilisation dans les saisons où celles-ci ne peuvent pas être produites, ainsi que pour le développement de piles à combustible plus performantes pour les transports privés et en commun. L’hydrogène servirait aussi dans la production de carburants synthétiques et dans la création de nouveaux systèmes d’échauffement pour l’industrie de la construction et de la métallurgie, parmi d’autres secteurs.

Parmi les points de l’accord, un partenariat entre le conglomérat Thyssenkrupp et le fournisseur RWE a aussi été annoncé. La société industrielle vise à bénéficier d’une alimentation électrique à l’hydrogène dans une de ses aciéries à Duisbourg.

Par ailleurs, différents gouvernements et analystes se demandent si l’hydrogène pourrait devenir en plus un facteur déterminant dans la relance des économies mondiales, gravement affectés par les dégâts de la pandémie du coronavirus.

Une stratégie nationale de grande ampleur

Annoncée ce mercredi 10 juin, la stratégie a été approuvée 6 mois après d’avoir initialement été proposée par le ministre de l’Économie allemand, Peter Altmaier.

En novembre 2019, le fonctionnaire déclarait au journal Frankfurter Allgemeine Zeitung que son gouvernement devrait « poser les jalons pour que l’Allemagne devienne le numéro un mondial des technologies de l’hydrogène ». À ce moment, il assurait que la proposition serait approuvée à la fin de l’année, mais des longues discussions et la crise sanitaire retardèrent son arrivée jusqu’à 2020.

Désormais, la stratégie nationale pour l’hydrogène de l’Allemagne allouera 7 milliards d’euros dans le développement d’un marché intérieur de cette technologie et 2 autre milliards dans des partenariats internationaux. Les dépenses sont inscrites dans le plan de relance allemand de 700 milliards d’euros destiné à endiguer les conséquences de la crise sanitaire et annoncé la semaine dernière à Berlin.

« L’hydrogène présente à la fois une nouvelle approche industrielle en pleine expansion et une opportunité de soutien aux économies allemande et européenne face aux conséquences de la pandémie du coronavirus. L’objectif de la stratégie nationale de l’hydrogène (NWS) est donc aussi d’en pouvoir profiter des débouchés économiques qui y sont associés », énonce l’écrit du plan énergétique.

À présent, le pays européen produit plus d’énergies renouvelables de celles qu’il consomme, mais ce surplus est déperdu dû à des moyens peu effectifs de stockage. Les piles à hydrogène présentent une solution à cette problématique, mais divers obstacles techniques retardent toujours son application.

En développement depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les piles à combustion d’hydrogène sont considérablement plus couteuses que les batteries électriques communes, de même que sa capacité de stockage reste toujours limitée par rapport aux dernières. Conséquemment, le nouveau plan allemand vise aussi à améliorer les moyens de production d’hydrogène actuels en investissant davantage sur la recherche de ces technologies.

« Pour que l’hydrogène devienne un élément central de notre stratégie de décarbonisation, toute la chaîne de valeur (technologies, production, stockage, infrastructure et utilisation, y compris la logistique et les aspects importants d’une infrastructure de qualité) doit être prise en compte. », continue l’écrit.

L’hydrogène « gris » et « vert », deux approches de production différentes

Les teutons comptent pouvoir produire plus de 5 gigawatts d’hydrogène d’ici 2030 et parvenir aux 10 gigawatts en 2040. Cependant, cette production devra être issue de sources renouvelables dans sa totalité, contrairement aux propositions initiales de novembre 2019 qui ouvraient la porte à l’utilisation du gaz dans la génération de l’élément chimique.

L’hydrogène prévu pour 2040 devra donc être « vert » et non « gris ». En Allemagne, la grande partie de cet élément est produit à partir de gaz naturel et de captage et stockage du carbone (CSC), une méthode controversée qui ne devra plus être utilisé que « de façon transitoire », d’après le nouvel accord. Autrement dit, il faudra que les éoliennes, panneaux solaires et autres moyens de génération électrique à partir de sources renouvelables soient en mesure de délivrer l’énergie suffisante à la production massive d’hydrogène par électrolyse.

C’est ici aussi que se présente un nouvel obstacle, dans la mesure où l’électrolyse implique une déperdition d’énergie d’environ 30%. Pour produire les 5 gigawatts d’hydrogène proposés, les centrales d’énergies renouvelables devront fournir près de 20 térawatts heure d’électricité. Heureusement pour l’Allemagne, sa production d’énergie durable dépasse le 40% de l’électricité au niveau national depuis 2018 et vise, en plus, atteindre le 60% pour 2035, ce qui lui met dans la route idéale pour satisfaire ses objectifs en hydrogène « vert ».

L’hydrogène pourra-t-il décarboner le secteur des transports ?

Étant donné que le seul produit des réactions électriques à hydrogène est de l’eau, ses piles à combustible pourraient offrir une solution plus viable et écologique pour l’alimentation des différents modes de transport, participant en plus à la réduction considérable de son empreinte carbone.

Depuis un certain temps déjà, l’industrie automobile allemande fait la transition vers un secteur moins polluant. Cette année, Daimler et Volvo ont convenu un partenariat de production de batteries à hydrogène qui serviront au transport de marchandises. Ce projet de 1,2 milliard d’euros vise à mettre sur le marché des transports électriques entièrement alimentés à l’hydrogène d’ici 2025.

Plus récemment, BMW a annoncé que pour 2022 il envisageait lancer un SUV X5 muni de sa technologie i Hydrogen NEXT, développée en collaboration avec le japonais Toyota. Une fois achevée, la voiture devrait fournir près de 360 chevaux rien qu’avec ce type de pile.

Les deux entreprises travaillent ensemble depuis 2013 dans la production d’alternatives aux systèmes de stockage communs, tout en faisant partie du Conseil de l’hydrogène, groupe formé dans le même but en 2017 qui compte désormais avec 80 membres parmi des entreprises et des groupes de recherche internationaux.

Cependant, c’est Hyundai qui, en 2013, innova dans le marché des automobiles à hydrogène produites en masse avec sa Tucson FCEV (acronyme pour Fuel cell electric vehicle). À l’heure actuelle, la marque sud-coréenne, ainsi que Toyota et Honda, continuent à produire des voitures conçues avec cette technologie.

Additionnellement, des efforts de ravitaillement sans empreinte carbone sont aussi menés dans le secteur des transports en commun.

En septembre 2018, l’Allemagne a mis en marche ses premiers trains propulsés exclusivement par hydrogène. Conçus par Alstom, ces convois bénéficient d’une autonomie de 1 000 kilomètres au plein, leur permettant de desservir plusieurs fois la route de 100 kilomètres entre Cuxhaven et Bremervörde, dans la Basse-Saxe. Les trains Coradia iLint atteignent une vitesse maximale de 140 km/h et offrent un voyage notamment plus silencieux que celui dans des appareils à diesel. Pour 81 millions d’euros, Alstom devra fournir 14 nouveaux engins de ce type aux autorités de transport locales d’ici 2021, date pour laquelle l’installation d’une station de service fixe est aussi prévue.

Simultanément, un projet plus ambitieux se développe au Schleswig-Holstein, région qui prévoit électrifier l’ensemble de son réseau ferroviaire de 1 100 km en utilisant des piles à hydrogène alimentées par sources renouvelables, d’ici 2025.

Des projets à l’hydrogène partout au monde

Bien que ce soit une des stratégies les plus ambitieuses concernant les technologies d’hydrogène en temps récents, Allemagne n’est pas la seule à faire avancer ce secteur spécifique.

Parallèlement à l’annonce de la nouvelle stratégie en matière d’énergie du gouvernement allemand, le gazier italien Snam et Alstom se sont engagés dans un accord quinquennal pour le développement d’un réseau ferroviaire à hydrogène en Italie. D’après la négociation, Alstom fabriquera et entretiendra des wagons nouveaux ou convertis à l’alimentation par pile à hydrogène, tandis que Snam sera chargée avec l’infrastructure nécessaire à la production et au transport de l’élément pour le ravitaillement des convois.

Lors de l’accord, le directeur général de Snam, Marco Alvera, déclara que « L’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables fera la concurrence aux combustibles fossiles d’ici quelques années, de même qu’il jouera un rôle clé dans la transition énergétique, particulièrement dans l’industrie, le chauffage et les transports lourds » . Les premiers tests de faisabilité sont programmés pour cet automne.

En France, le gouvernement de la République annonçait la semaine dernière qu’il irait investir 1,5 milliards d’euros dans le développement de nouvelles technologies qui permettent de mettre au vol le premier avion à l’hydrogène d’ici 2035.

Le versement fait partie du plan de relance de la filière aéronautique pour 15 milliards d’euros qui a été présenté mardi 9 juin par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Dans ses déclarations, il informa que la France aura pour objectif « de parvenir à un avion neutre en carbone en 2035 au lieu de 2050, notamment grâce au moteur à très haut taux de dilution et au recours à l’hydrogène ». Ce financement sera alloué pour 3 ans au Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC).

L’ensemble des pays de la Communauté européenne ont détaillé en mai son très ambitieux Pacte vert (« Green New Deal »), qui vise à la décarbonisation du continent â l’horizon 2050. L’accord propose des grandes modifications aux normes européennes et aux procédés de son industrie, ainsi que des objectifs définis, d’entre lesquels figurent un plan d’action pour réactiver l’économie circulaire, de nouvelles stratégies pour l’agriculture et la préservation des bois européens. Additionnellement, le Pacte établit la révision des quotas d’émissions et des subventions aux combustibles fossiles dans l’objectif d’encourager l’usage des énergies renouvelables, notamment l’hydrogène. Ce nouvel accord aura lieu à un financement de près de 1 000 milliards d’euros, dont près de la moitié ont été versés depuis les caisses du bloc sous la forme d’un plan de sauvetage après la crise sanitaire.

D’après Diederik Samsom, chef de cabinet du vice-président de la Commission européenne en entretien diffusé en ligne par l’Institut de l’environnement de Stockholm, « le Green New Deal est au centre du plan de l’UE pour la relance post-Covid ». « Après la pandémie, nous allons vivre l’un des plus grands krachs économiques que nous pourrons connaître. Nous voulons donc investir dans une nouvelle économie qui soit durable, et non pas redémarrer les anciens préceptes financiers en essayant de les rendre plus verts ».

De l’autre côté du monde, en Chine, la première ligne de tram à hydrogène est apparue en 2015, dans la province de Qindgao. Quatre années après, des engins similaires ont été présentés à Foshan. Ces appareils, construits par la société canadienne Ballard Power Systems, peuvent atteindre des vitesses d’environ 70 km/h et transporter entre 250 et 300 passagers. Les autorités chinoises prévoient en plus un investissement de près de 30 milliards d’euros pour élargir le réseau de ce type de transport jusqu’aux 2 000 kilomètres, à la fin-2020.

Par ailleurs, en juin 2019 les leaders du G20 ont accordé des collaborations bilatérales pour parvenir à positionner l’hydrogène comme une ressource qui puisse détrôner les combustibles fossiles, notamment le pétrole. Réunis au Japon, la Union européenne et les États-Unis ont convenu accélérer le développement des technologies d’exploitation de l’hydrogène avec le pays nippon. Ensemble, les vingt économies les plus performantes au monde sont responsables pour près du 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Source de l’image : www.cleanenergywire.org